Editorial du Comité CH-UE
Négociations Suisse-UE terminées - et après ?
Le 20 décembre dernier, le Conseil fédéral annonçait, sotto voce et sur un mode curieusement terne, la fin dite matérielle, des négociations avec l’UE, notre premier partenaire commercial. Épuisement gouvernemental compréhensible après une tortueuse route ou nécessaire discrétion, avant la longue marche vers l'arrivée ?
Quoiqu'il en soit, on constate que cet heureux dénouement est bien plus qu’une victoire d’étape. Les négociations ont incontestablement abouti sur un succès qui doit être salué. Remettre l’église au milieu du village, il était grand temps. La tâche s'avérait lourde, complexe, et chronophage. On y est arrivé. Les textes définitifs ne seront connus qu’au printemps, un fois juridiquement stabilisés.
D'ores et déjà, la Suisse et l’UE ont levé le voile sur l’essentiel de ce qui a été âprement négocié. Il y a de bonnes et nombreuses raisons de croire que les objectifs et résultats définis dans le mandat de négociation du Conseil fédéral ont été atteints. Sont-ils de meilleure facture que ceux inscrits dans le défunt projet d’accord institutionnel de 2021 ? Reste encore à voir. Quant à elle, l'UE se dit, elle aussi, généralement satisfaite des accommodements faits de part d'autre. Un accord global équilibré. N'entre évidemment pas qui veut dans son marché. L'UE attendra prudemment la conclusion du long débat interne qui s'amorce en Suisse.
Aussi longtemps que les textes ne sont pas paraphés par les négociateurs, puis signés par le Conseil fédéral, et enfin approuvés dans un référendum, ils resteront projets- nonobstant d’utiles mesures transitoires, par exemple dans le domaine de la recherche, dont Horizon Europe et une coopération réglementaire générale.
Ce calendrier législatif propre à la Suisse, est réaliste et il sera difficile de le bousculer. On peut estimer, à ce stade, que le paquet négocié n'entrera pas en vigueur avant 2028- 2029. Une éternité, dira-t-on, au vu des bouleversements majeurs incessants, dans un monde chahuté où les grandes puissances, UE y compris, s’interrogent sur la pérennité de leurs alliances politiques et économiques.
Sommairement résumé, la Suisse a pu solidifier et moderniser sa voie bilatérale, la seule viable et largement déjà testée avec l’UE. Ceci au moyen d’un jeu d’accords sectoriels, existants et nouveaux, dont le but est de sécuriser la prospérité du pays par des mécanismes astucieux, bien pensés. Une participation élargie de la Suisse au marché intérieur de l’UE devient de la sorte envisageable. C'est exactement - ou presque - ce que le monde économique réclame depuis des années.
La Suisse a obtenu satisfaction des thèmes sensibles, économiques et politiques. Ainsi : la migration et ses mécanismes de régulation, la protection des salaires, de la contribution financière à l’effort de cohésion de l’UE, certes coûteux mais justifiés, la participation au marché de l'électricité, sans oublier une base institutionnelle correctement et finement charpentée.
Participer au grand marché intérieur, c’est aussi en accepter ses règles strictes de fonctionnement - et il est souvent trop facile de l'oublier.
Les mois prochains seront consacrés à un nouvel exercice périlleux : l’examen détaillé du paquet négocié. Cet amas de textes ne pourra pas se lire comme un roman de gare. L'exercice aura lieu d'abord dans le cadre d'une vaste procédure de consultation avec les partenaires institutionnels et sociaux (commissions fédérales, cantons, associations faîtières). Cette consultation, lancée ce printemps, sera entreprise à la lumière des éléments du message, certainement radioactif, que prépare le Conseil fédéral (environ 1400 pages) sur le paquet, de même que la législation interne transposant les accords en droit suisse, avec ses multiples mesures d'accompagnement. Le débat interne sera vigoureux.
Suivra, début 2026, un examen tout aussi long et méticuleux du paquet, cette fois par le tout puissant Parlement. Cet exercice requerra un effort additionnel inhabituel, mais surtout considérable dans l'ampleur de l'analyse des textes négociés et la législation de transposition qui lui seront soumis. Nul ne sait, ce qu’il ressortira de cette avalanche législative : adoption, mutilation ou refus de certaines dispositions.
Suite à quoi le peuple, probablement avec les cantons, se prononceront, lors d’un référendum qui pourrait avoir lieu en 2027 dans le meilleur des cas ou en 2028, en fonction de la célérité du Parlement qui aura besoin de deux ou trois sessions pour arriver à une conclusion. Pourquoi des dates si lointaines ?
On sait qu'un nouveau Parlement et un nouveau Conseil fédéral seront élus fin 2027, pour quatre ans. Il est ainsi peu probable qu’un référendum puisse encore avoir lieu en 2027, année électorale. En outre, en 2026, s'ajoute une initiative voulant limiter la population à 10 millions et fera l'objet d'un référendum, à un moment critique - car il s'agira du sort du principe même de la libre circulation avec l'UE.
On l’a dit, la machine administrative et au-delà, les règles institutionnelles en place, ne pourront guère faire avancer le processus de ratification plus rapidement. Dans ces circonstances, on voit difficilement l’entrée en vigueur du paquet avant 2029. Mais un rythme tant soit plus rapide n'est pas exclu ; si on entend se rapprocher de l'UE, il faudra se hâter lentement.
Le Comité Suisse-Union Européenne de la Chambre mettra toute son énergie pour soutenir et encourager l’adoption d’un ensemble législatif, cohérent, devenu indispensable et vital. L’isolationnisme et le protectionnisme ambiants, une dangereuse et catastrophique tendance, sont une carte perdante, nuisible pour la Suisse.
Jean Russotto
Président du Comité Suisse-Union Européenne